Edwin Vasquez et Candido Mezua, représentants des habitants des forêts d’Amérique du Sud, alertent le président français sur l’importance du maintien de populations en Amazonie comme moyen de protéger cet écosystème.
Par Edwin Vasquez et Cándido Mezúa*
Nos deux organisations représentent des centaines de milliers de personnes autochtones des forêts d’Amérique latine. Nous avons traversé l’Atlantique pour expliquer, lors de la conférence internationale sur le climat de Bonn qui s’est achevée le 18 mai, à quel point les vies et les droits de nos populations sont en danger, du Yucatan [sud du Mexique] à la frontière sud de l’Amazonie, au Brésil. Si nous sommes en danger, alors les forêts tropicales – vitales pour réduire les émissions de carbone – le sont aussi.
Emmanuel Macron, le président français, s’est récemment adressé à des chercheurs américains pour les encourager dans leurs travaux sur le climat et dans leur quête de solutions contre le changement climatique. Il se félicite d’être de ceux qui, contrairement au président des Etats-Unis, se sont engagés à soutenir l’accord de Paris.
Emmanuel Macron doit savoir que les scientifiques ont déjà prouvé que les peuples autochtones des forêts étaient une solution efficace et peu coûteuse pour protéger les forêts tropicales. Malgré cela, notre existence est continuellement menacée par des attaques sur nos droits. En remerciement de nos efforts pour préserver les ressources naturelles, y compris ces forêts si importantes, nos dirigeants sont assassinés ou accusés de crimes. Et les investissements internationaux de la nouvelle « révolution verte » atteignent rarement ceux qui pourraient fournir le plus de services écologiques sur le terrain.
Chute de 75 % de la déforestation dans les deux ans
Les populations autochtones et les communautés locales contrôlent ou possèdent presque 40 % des terres forestières d’Amérique latine, un record qui en fait un modèle de défense des droits fonciers coutumiers en Indonésie et dans les nations de l’Afrique subsaharienne.
Une étude de la Banque mondiale semble malheureusement montrer que les progrès en Amérique latine ne sont que théoriques. L’étude portant sur six pays identifie des « réglementations pesantes » et de « puissants intérêts en compétition » qui favorisent « l’insécurité, des conflits et des déplacements pour certains des habitants les plus pauvres des zones rurales ». L’étude cite un nombre croissant de partenariats entre gouvernements et investisseurs dont les activités violent les droits fonciers, en contradiction avec la réputation exemplaire de la région.
Le renforcement des droits fonciers communautaires se justifie également sur le plan économique. L’analyse réalisée l’an dernier par l’Institut des ressources mondiales montre qu’en Bolivie, au Brésil et en Colombie, des droits fonciers autochtones et communautaires forts se traduisent par un taux de déforestation deux à trois fois inférieur à ceux des autres zones forestières.
Une étude récente des Proceedings of the National Academy of Sciences [Actes de l’Académie américaine des sciences] montre une chute d’environ 75 % de la déforestation dans les deux ans qui suivent l’obtention des droits. Pour les chercheurs de la Banque interaméricaine de développement, ne pas s’attacher à renforcer ces droits remet en question l’engagement des gouvernements à répondre au changement climatique.
Violence croissante
Malgré le faisceau d’indices qui montrent l’efficacité supérieure des communautés locales et autochtones, avec des droits fonciers renforcés, sur tous les autres opérateurs fonciers publics ou privés, seuls 21 des 188 pays de l’accord de Paris ont inclus les peuples forestiers dans leurs plans de réduction des émissions de carbone.
Il faut saisir l’opportunité d’utiliser les capacités des peuples autochtones pour répondre aux promesses de protection des forêts tropicales comme contribution principale contre le réchauffement climatique.
Nous voyons au contraire la violence croissante qui s’installe au sein de nos communautés. Nos maisons et nos forêts sont détruites au bulldozer pour faire place à des productions souvent destinées à l’export.
Imaginez un monde dans lequel les consommateurs d’Amérique du Nord et d’Europe refusent d’acheter des produits cultivés sur des terres de peuples autochtones saisies illégalement. Imaginez un monde où les investisseurs refusent de soutenir des projets qui excluent les communautés locales et ne s’assurent pas du respect de leurs droits fonciers. Que leur motivation soit la préservation des forêts tropicales, la protection de leurs investissements ou le soutien des peuples autochtones, l’impact économique serait majeur. Peut-être même suffisant pour attirer l’attention d’un économiste désormais président, surtout s’il s’intéresse aux solutions scientifiquement démontrées pour lutter contre le changement climatique.
Nous sommes prêts si vous l’êtes, monsieur le président Emmanuel Macron.
http://mobile.lemonde.fr/climat/article/2017/05/19/climat-il-faut-renforcer-les-droits-fonciers-des-populations-autochtones-d-amerique-latine_5130695_1652612.html